Hitler, la naissance du mal

En 2003, Christian Duguay réalise un film en deux parties pour la télévision, il s’appelle Hitler, la naissance du mal (Hitler: The Rise of Evil). Des acteurs de choix sont appelés pour incarner les personnages emblématiques de l’époque pré-1939 en Allemagne, celle de la montée d’Hitler, il s’agit de Robert CarlyleLiev ShreiberMatthew ModinePeter Stormare ou encore Julianna Margulies.
Comme je vous l’indique plus haut, ce film retrace la vie d’Hitler, de son enfance à son arrivée au poste de Chancelier/Führer de l’Allemagne. On y retrouve donc un enfant maltraité par son père, un pré-adulte torturé et refusé aux Beaux-Arts, un jeune adulte devenu caporal en 14-18, un membre du parti ouvrier allemand, le président de ce parti, et enfin, l’homme au pouvoir.
Ce film dure 3 heures mais a été raccourci de 50 minutes dans la version française par TF1. De nombreuses polémiques sont nées, suite à cette censure inexplicable et ridicule par la chaîne de télévision française.




La censure de TF1, qui a presque enlevé un tiers du film porte surtout sur l’enfance d’Hitler, ses années en tant que soldat de l’armée allemande pendant la première guerre mondiale mais aussi et surtout des discours antisémites (on trouve d’autres passages retirés, comme la présence seule des juifs du film). Et ces 50 minutes sont précieuses pour la compréhension du film : certaines scènes sont complètement dénaturées voire incompréhensibles, et donc, leur sens est erroné, si ce n’est inexistant évidemment. En effet, TF1 a semble-t-il voulu protéger les pauvres petits spectateurs français, les maintenir écartés de toute forme de violence verbale ou physique, faisant fi de la nature même d’Adolf Hitler. Les français sont donc préservés des scènes de violence physiques que le père d’Hitler a à l’encontre de son fils dès son plus jeune âge, mais aussi, son passage dans les tranchées où il tabasse notamment son chien (battre un animal, c’est impensable à la télévision !), et puis, on nous a retirés tous les discours anti-juifs prononcés par le futur Führer, comme si l’antisémitisme d’Hitler n’avait que peu ou pas existé. Par extension, les seuls juifs présents dans le film sont tout bonnement supprimés eux aussi, car vu qu’il n’y a pas de haine contre les juifs, autant virer complètement leur apparition, ils sont inutiles à la bonne marche du film. Bref, on aurait dit qu’une volonté de compassion pour le personnage se fait ressentir parmi les censeurs.
Dans cet esprit de protection, on peut relever l’absence de l’inceste, et ce même dans la version originale. Il est de notoriété publique qu’Hitler avait des relations incestueuses avec sa nièce Geli, mais cette partie a été éludée pour laisser place à une sorte de romance entre les deux personnages. Même si cette romance a ses limites, vu que la nièce est complètement étouffée par son oncle autoritaire et absolument rigide.

Cela dit, certains passages sont insuffisants car la portée de leurs conséquences est insuffisante. Effectivement, on voit un jeune Hitler livré à lui-même, suivant le discours d’un maire qui met sur le dos des juifs les malheurs sociaux, économiques et politiques de l’Allemagne… Et c’est tout. Ce qui aurait été intéressant, c’est de comprendre réellement ce qui s’est passé pour que son idéologie, son antisémitisme soient si extrêmes. Il manque donc des scènes révélatrices sur la nature de sa haine envers les juifs, des scènes qui montrent son formatage dans l’antisémitisme.
Cependant, on peut toutefois noter une volonté nette de donner dans l’authenticité. Car la plupart des scènes sont historiques et retracent parfaitement sa longue et sinueuse route vers le pouvoir : son premier passage en tant qu’intervenant au parti ouvrier allemand, son métier d’informateur après la guerre, la montée de son parti au pouvoir, etc… Ce qui est intéressant, c’est que l’on suit plusieurs personnages autour de la vie d’Hitler, et pas forcément les plus connus, comme sa principale aide financière, Ernst Hanfstaengl ainsi que sa femme ou encore celle du journaliste, Fritz Gerlich qui est l’un des premiers à voir le vrai visage d’Hitler, celui du fou, de l’imprévisible, du dangereux. Ces trois personnages, surtout les deux hommes, sont des proches d’Hitler de prime abord, mais sont vite rattrapés par la vérité et ne partagent aucunement son point de vue extrême sur les juifs, ni même sa façon de voir les choses en général. Au-delà de tout ceci, un véritable cheminement sur la personnalité d’Hitler est à relever et à apprécier, ça frôle parfois la diabolisation (l’enfant battu est forcément un futur adulte pourri ? l’homme refusé à ses études est forcément frustré ?), mais on note cette originalité, car peu d’œuvres auparavant ont pu réunir avec tant d’exactitudes la vie d’Hitler, son ascension au pouvoir. On a plutôt l’habitude de voir un Hitler pendant la guerre, sa suprématie, son déclin, ou tout simplement des œuvres en rapport avec la Shoah, mais guère son long chemin vers le pouvoir.



D’un point de vue cinématographique, le jeu d’acteurs est impressionnant. Personne ne surjoue, tout le monde est bien dans son rôle, authentique, là encore. Je pense notamment à Robert Carlyle et ses scènes où il monte au créneau (doux euphémisme), en éructant, son visage devenant colérique, ses yeux perçants… Bref, celle où il devient Hitler, l’orateur. Son visage donc, mais aussi sa gestuelle nous montrent à quel point il transcende son rôle de Führer empli de haine et de rage.
L’ambiance du film est glauque, à l’image d’Hitler. Effectivement, la photographie, les décors, les costumes… Ils retracent tous une volonté profonde de montrer l’horreur. Les images sont ternes, seul la couleur rouge (des communistes mais aussi de la croix gammée) ressort et devient hypnotique, rappelant la dangerosité d’Hitler face aux autres impuissants.
Ce qui conclut le film, ce sont des images accompagnés de courtes phrases sur le bilan de la guerre, et en général sur ce qu’a provoqué Hitler, à savoir une économie retombée à zéro, des morts, des camps, des essais médicaux, une société en flambeaux… Un lourd bilan, donc, que l’on reproche (à raison, bien entendu) à Hitler, et qu’on nous remet en pleine face afin que personne ne puisse oublier ce personnage et surtout les conséquences de ses actes haineux.

Hitler, la naissance du mal est pour moi un très bon (télé)film : on arrive à mieux percevoir comment un homme cruel, clairement intentionné et absolument haineux a pu arriver au pouvoir, grâce, ou plutôt à cause d’hommes inertes, mais aussi et surtout à cause d’une politique bancale, d’une Allemagne laissée pour morte par les pays vainqueurs et qui avait besoin de connaître des coupables et de se nourrir de fantasmes et d’une possible guérison. On dénote alors une facilité déconcertante, même si semée d’embuches, pour Hitler à accéder au pouvoir avec son idéologie. Il faut donc voir, pour tout saisir et tout comprendre, la version non-censurée et éviter avec hargne celle de TF1, qui en plus de nous prendre pour des imbéciles, est lourde d’incohérences. Ce film est assez original dans son traitement du personnage, car rares sont les fois où l’on nous a montré un Hitler avant la guerre et avant son titre suprême de Führer.

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